2. Impliquer les publics éloignés : travailler avec les acteurs du territoire

Organisateurs·rices #

  • Nathalie Lauriac, Office de l’urbanisme GE, service participation citoyenne, 3DD
  • Talide Cividino, Office de l’urbanisme GE, service participation citoyenne, 3DD
  • Danièle Warynski, Maison de quartier de Plainpalais à Genève, HETS
  • Pascal Thurnherr, Maison de quartier des Acacias à Carouge,

Problématique ou questionnements #

Un certain nombre de publics sont « absents » des démarches participatives au risque que leurs attentes, leurs intérêts, ne soient pas pris en compte. L’atelier cible un enjeu parmi les multiples facteurs qui jouent un rôle dans ces absences : la qualité du lien aux absents, en interrogeant notamment le lien entre les acteurs publics porteurs de démarches participatives et les acteurs du territoire dont les missions ou l’action les amènent à être plus proches de ces publics (maisons de quartiers, associations, services publics…). L’objectif de l’atelier est de réfléchir à comment faciliter les échanges, les conditions d’un partenariat entre ces acteurs afin de faciliter la participation citoyenne de ces publics que nous disons absents. Ce partenariat commence dans l’atelier conçu et animé entre le service de participation citoyenne de l’Etat de Genève et des Maisons de quartiers.

Introduction #

Nathalie Lauriac, office de l’urbanisme :

  • Le constat est partagé par les acteurs investis dans les démarches participatives comme par les travaux d’études et de recherche sur ces dernières : les concertations ouvertes par les acteurs publics parviennent difficilement à mobiliser au-delà des habitantes et habitants déjà intéressés ou simplement concernés par le sujet, familiers des institutions publiques, plutôt socialement intégrés et appartenant en majorité aux catégories les mieux formées comme aux classes d’âge les plus âgées de la population. Notons que ce constat se vérifie également dans les autres formes de participation politique.
  • Celles et ceux que nous appellerons « les absent.es » figurent davantage parmi les jeunes, les femmes, les personnes en charge de famille, celles en situation de pauvreté et de précarité, les personnes issues de l’immigration.
  • Ces absences peuvent laisser craindre que le dialogue avec les représentants politiques intègre plus difficilement les sujets d’importance pour ces personnes, que les projets et la mise en visibilité des questions politiques se construisent sans prendre en compte leur points de vue, leurs intérêts, voire soient conçus et formulées à l’encontre de ces derniers.
  • Permettre une présence active des personnes habituellement absentes questionne de nombreuses dimensions des démarches participatives : l’objectif et la finalité de ces démarches, leur préparation et leur animation (ordre du jour, lieu, scénographie, partage d’information, déroulé…), les modalités de communication sur ces démarches mais aussi l’historique de ce type d’approches comme leur contexte sociopolitique….
  • Cet atelier cible une de ces dimensions qui peut être repérée parmi les multiples facteurs qui jouent certainement un rôle dans ces absences : la qualité du lien aux absents, en interrogeant notamment le lien entre les acteurs publics porteurs de démarches participatives et les acteurs du territoire dont les missions ou l’action les amènent à être plus proches de ces publics.
  • Acteur public, porteurs de concertation, nous devons reconnaître que nous sommes parfois relativement distants des populations les plus éloignées des institutions, nous faisons donc le pari que c’est en travaillant avec les acteurs du territoire qui sont en lien avec les habitant.es – maisons de quartiers, centres sociaux, services publics de proximité, associations…. – que nous pouvons construire ce lien aux absents.
  • Le pari est-il crédible ? Et à quelles conditions éthique, politique, temporelle, matérielle, voire financière ces collaborations peuvent – elles se nouer ? Dans le cadre de quel partenariat ?

Pascal Thurnherr, président de la maison de quartier des Acacias

La Maison de Quartier des Acacias (MQA), à Genève, a construit une longue tradition de participation, et travaille cet aspect en permanence depuis sa création, au début des années 80.
Une part importante du travail des animatrices et des animateurs consiste à entrer -et rester- en contact avec les publics les plus fragiles, en accordant une attention particulière à leur participation aux animations de la Maison de Quartier, tout au long de l’année. Ce travail vise à mettre en contact lors d’événements festifs et conviviaux des publics très différents. C’est à partir de ces liens que leur participation à des activités moins festives (assemblée générale, soirées d’information, soirées débat) est rendue possible.

Cette participation des habitants est donc le « fil rouge » de l’ensemble des activités de la MQA, dans le but de permettre à tous les habitants -y compris les plus vulnérables- à se saisir de leur pouvoir d’agir, que ce soit au travers des instances de la MQA, ou lors de consultations concernant des projets d’aménagement, des questions de qualité de vie et des projets d’animation.

Un exemple.

Les équipes de MQA s’étaient rendues compte que de nombreux habitants délaissaient ce parc des Epinettes (son nom à l’époque), aujourd’hui Parc Eglantine Jebb, seul véritable espace de verdure du quartier. Nous nous sommes alors emparés de ce thème et nous sommes parvenus à un projet de consultation élargie des habitants. Nous nous sommes rapidement tournés vers les magistrats concernés de la Ville de Genève, en charge de la voirie, des espaces verts et des écoles, afin de nous assurer de leur adhésion à la démarche. Les premières trois demi-journées de cet exercice ont rassemblé une soixantaine de participants de tous âges, puis les étapes suivantes, portant sur les thèmes des chiens, des jeux d’enfants, de l’aménagement paysager, de la propreté, ont mobilisé en tout plus de 200 personnes différentes qui ont apporté leur contribution à un moment ou à un autre à la définition du projet de nouveau Parc. La réalisation rapide de ce que les habitants avaient collectivement choisi (parc pour chiens, espace de jeux d’enfants, dégrapage partiel, plantation d’arbres…) a permis à nombre d’habitants de reprendre confiance dans le processus démocratique.

Cet épisode est aujourd’hui encore, plusieurs années plus tard, très précieux, une « preuve matérielle » que l’engagement citoyen se concrétise lorsqu’il s’organise, et que toute parole peut trouver sa place, y compris celle des habitants a priori les moins qualifiés.

Déroulé et résultats #

L’atelier a bénéficié d’une très grande diversité de profils aussi concernant les types de métiers représentés (urbanistes, mandataires participation, animation socio-culturelle, travailleurs sociaux…) comme le degré de proximité avec un ou plusieurs des publics cibles (jeunes, migrants, familles…).

Ce qui a permis aux échanges d’être d’une grande richesse.
L’atelier de deux heures a été structuré en 3 moments correspondants à 3 questions :

  1. Qui sont ces absents ? Quels sont les acteurs en lien avec ces publics ?
  2. Comment les acteurs du territoire peuvent-ils allers vers ces publics pour faciliter leur prise en compte dans les concertations portées par les acteurs publics ?
  3. A quelles conditions ces démarches sont-elles possibles ? Dans le cadre de quel partenariat avec les acteurs publics ?

I. Qui sont ces absents ? Quels sont les acteurs en lien avec ces publics ?

Un moment d’interconnaissance en plénière a permis de partager brièvement un constat en proposant aux participants et participants de se positionner sur un axe :

 

  • Les acteurs qui souhaitent entendre la parole de ces publics dans des concertations sont très éloignés d’eux ;
  • Les acteurs dont la mission est de travailler avec ou d’aller vers ces publics sont eux-mêmes en difficulté pour les atteindre ;
  • Il existe des acteurs en proximité qui connaissent et ont tissé un lien de confiance avec ces publics ;

Après ce moment, les participantes et les participants se sont répartis en 3 groupes pour traiter des deux questions suivantes. Les résultats ont été partagés en plénière à la fin de l’atelier.

II. Comment les acteurs du territoire peuvent-ils allers vers ces publics pour faciliter leur prise en compte dans les concertations portées par les acteurs publics ?

Donner envie, aller vers et rendre visible

  • Investir l’espace public ;
  • Aller physiquement vers les publics, dans les lieux et les espaces qu’ils investissent et aux moments où ils s’y trouvent, toucher le quotidien. Les processus doivent être soignés pour rendre visible les opportunités de participer et lever le plus possible les freins (choix des dates et horaires, des lieux…).
  • L’importance de la convivialité, de la forme festive, du jeu. Organiser ou mieux profiter de temps de fêtes déjà existants et de la convivialité créée par les acteurs de terrain identifiés (maisons de quartier, repas communautaires par exemple) ;
  • L’intérêt d’avoir des lieux identifiés par les habitants, dans lesquels ils peuvent venir passer du temps et s’impliquer comme par exemple les maisons de quartier ou la Maison Gilberte (lieu hybride, porte d’entrée vers différents services de la commune de Meyrin).
  • Il est difficile de mobiliser, d’intéresser les publics en raison souvent de la temporalité des projets qui sont soumis à la concertation et dont les résultats ne seront visibles que dans longtemps. D’où l’importance de réussir à expliquer et informer sur les étapes et d’avoir recours à des formes de participation plus concrètes, moins théoriques ;
  • Rendre visible comment la participation a été prise en compte, restituer aux participants et plus largement ;
  • Et quid du numérique ? A la fois un outil qui peut être adapté pour certains publics (les jeunes) et qui peut être facteur d’exclusion (fracture numérique). Comment penser les outils participatifs en ligne de sorte à ce qu’ils ne soient pas excluant ? Comment informer les acteurs en lien avec les publics des démarches pour qu’ils puissent accompagner à l’utilisation ?

Accompagner

  • L’information sur les projets et les concertations ne suffit pas. La communication institutionnelle n’est pas adaptée pour ces publics éloignés de la chose publique. Les acteurs en lien avec les publics peuvent expliquer s’ils sont eux-mêmes correctement informés. Pour les démarches de tirage au sort, ils peuvent expliquer et encourager les publics à se porter volontaires. Quelles ressources et quel temps disponibles pour cela cependant ?
  • L’expression de la parole citoyenne des groupes éloignés de la chose publique doit être accompagnée pour faciliter le développement des compétences, des avis et des contributions. Cela passe aussi par une réelle reconnaissance de la légitimité de tous ;
  • Dans les temps de concertation, mettre des moyens pour concevoir des supports d’information adaptés aux publics cibles pour permettre leur participation ;
  • Diversifier les formats pour permettre la participation de chaque groupe cible ; Certains publics ont besoin de formats en plus petits comités pour pouvoir s’exprimer ;
  • La question du dédommagement des participants devrait être approfondie.
  • Associer
    Les publics cibles sont eux-mêmes les mieux placés pour dire comment leur participation peut être organisée avec succès. Consulter, sonder, demander à des personnes relais ou des acteurs en liens avec les publics comment faire au moment de la conception de la démarche de concertation (associations, réseaux de solidarité entre habitants, EMS pour les personnes âgées…).

III. Quel est le partenariat nécessaire entre acteurs du territoire et acteurs publics pour que ces démarches soient possibles ?

Une nécessaire reconnaissance mutuelle de tous les acteurs

  • Les acteurs de terrain en lien avec les publics sont eux-mêmes porteurs de connaissance vis-à-vis des besoins et attentes de ceux-ci. Comment prendre en compte cette connaissance dans les concertations sans la substituer à la participation des publics ? Comment prendre en compte les besoins et attentes qui remontent en dehors des temps de concertation ?
  • Il est également important de reconnaître que certains publics restent aussi très distants des acteurs du territoire, qui rencontrent eux-mêmes des difficultés à aller vers.
  • La logique du fonctionnement en silos rend difficile la connaissance de ce que fait l’autre et les acteurs peu disponibles les uns pour les autres en dehors de leur champ métier.
  • L’importance des représentations (envers les publics cibles et la valeur de leur parole, envers les professionnels ou les acteurs qui sont en lien avec eux) : pour que le temps soit pris de tisser une interconnaissance et des partenariats dans la durée entre services porteurs de projets et acteurs de terrain, il faut que les hiérarchies respectives (voire le niveau politique) prennent conscience de l’intérêt et alloue le temps nécessaire pour ce faire. Les acteurs de terrain sont parfois dépréciés, et les professionnels d’autres organisations qui veulent travailler avec eux mal compris de leurs collègues.
  • Attention aux risques d’instrumentalisation.

Une confiance à construire et à nourrir de façon pérenne en dehors de la logique projet

  • Il faut comprendre la notion de participation permanente des acteurs de terrain : ce travail pour permettre la participation ne peut pas être uniquement lié à des projets, ni l’expression des publics cantonnée à un objet sur lequel on voudrait recueillir leur parole. Projets et objets de concertation souvent très dépendants des catégories de l’action publique, parfois éloignés des enjeux et des modes de représentations des populations, notamment des plus précaires. C’est un travail de fond, qui fait partie des valeurs des acteurs de l’animation socio-culturelle. Les acteurs qui souhaitent l’expression et la parole de tous doivent être capables d’accueillir et d’entendre tout ce qui est exprimé et de le relayer si ce n’est pas l’objet de la concertation.
  • Ce sont souvent les prestataires à qui est confiée la mise en oeuvre de la concertation qui tissent les liens avec les acteurs du territoire dans le cadre d’un projet. La confiance se crée entre des personnes. Comment faire pour une interconnaissance entre personnes et institutions/organisations dans la durée ? Comment construire des relations de confiance qui ne soient pas à créer à nouveau à chaque projet ?

Collaborer avec les acteurs relais pour concevoir et conduire des démarches participatives

  • L’importance de la compréhension au niveau politique des enjeux de la concertation et de son portage, pour que le cadre puisse être ensuite compris, partagé et déployé par tous les acteurs. Il est essentiel de ne pas vendre du rêve et de préparer en amont les conditions de concrétisation. Le risque est de briser la confiance (des publics comme des acteurs qui se seront impliqués) et de mettre en difficulté les acteurs de terrain qui restent en contact avec les habitants dans la durée, bien au-delà du projet.
  • Consulter les acteurs relais dès la conception de la démarche de concertation, les intégrer dès le début des réflexions. Est-on prêt à partager la responsabilité de la démarche de concertation avec ces acteurs ? Sont-ils prêts à le faire ?
  • Des démarches projet adaptables et flexibles pour pouvoir accueillir ces parties prenantes et leurs contributions ;
  • Un soin particulier doit être apporté à la traçabilité des décisions et à la restitution (intermédiaire ou formelle) vis-à-vis des acteurs qui se sont impliqués.
  • Quels sont les moyens disponibles pour soutenir l’engagement des acteurs du territoire dans ces partenariats au service de la concertation ?

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